Sarah KANE
Sarah Kane, née le 3 février 1971 à Brentwood (Essex) et décédée le 20 février 1999, est une dramaturge britannique.
Pour comprendre Sarah Kane, il faut comprendre la genèse de l’acte dramatique et sa logique qui est d’ailleurs la logique de l’imagination et de l’humain.
Comme les Grecs il nous faut faire face à l'origine de notre "être".
Le domaine de l'art dramatique est l'attention qu'il convient de porter aux rapports entre la folie et la santé mentale, entre l'imagination et la réalité, entre la société et la justice.
L'art dramatique est essentiel à notre humanité.
Il ne faut pas chercher Sarah Kane avec ses textes, mais nous-mêmes...
Oser nous affronter.
Oser ce bruit et ce silence sur soi.
Sarah Kane ne s'est jamais cachée derrière ses pièces.
Elle nous dit cet endroit encore sanglotant, là où réside notre innocence radicale que nous nous appliquons à enfouir jour après jour pour pouvoir
survivre en étant, pense-t-on, acceptable...
L'exacte topographie de nos paysages intérieurs
Regardé / Regardés / Regarder / Regardez !
Où l’on commence ? Où commence le monde ? Où est la frontière ?
Danser sur...
Sarah Kane est au-dessus et elle s'amuse.
"Victime, auteur du crime, spectateur..."
Notre peur, notre fascination et notre impulsion vers l'autodestruction
Les plus beaux textes d'amour que j'ai rencontré...
4.48 PSYCHOSIS
La tentation d’un clin d’œil (love me or kill me)
Sarah vivait à 100 km/h.
Et elle était à contre sens sur une route où la vitesse est la règle pour aller vers l’oubli de soi, avec toute une société qui se suicide dans une totale inconscience.
Sur la frontière, elle incarnait – comme le dit Giorgio Agamben, la seule figure possible d’un être humain aujourd’hui, celle du réfugié.
Comme le dit encore Edward Bond :
Dans Introduction to « Theatre and Drama » by Helen Nicholson :
« ...Theatre may help you to find yourself in society, drama requires you to find society in you.
To find, that is, your humanness and accept responsibility for being human... »
Elle disait : (je cite de mémoire) “ Je n’ai qu’une obligation : celle que j’ai par rapport à la vérité.”
Nous devons avoir la même obligation…
Et puis nous devons trouver d’autres voies de représentation, en nous questionnant sur comment représenter cette réalité ?
Chacun est la somme de ses actes et n'a d'existence que dans leurs conséquences.
En temps de paix, les citoyens des grandes puissances démocratiques se ruent sur ce qui va leur permettre de s'extirper de leur quotidien : le divertissement.
Le divertissement n'est pas un corollaire de la précarité de pensée, mais il participe de ses origines en ce qu'il est un organe du pouvoir.
Lorsque maintenant nous nous projetons dans un temps de guerre, temps où le changement abrupt des règles confronte l'individu à l'obligation de s'adapter à une situation contre nature (l'occupation, l'incarcération), nous sommes face à une recherche du divertissement qui s'apparente aux plus grandes quêtes en ce
qu'elle est fondatrice du fait d'être humain.
Nous avons perdu le sens tragique de l'humain, nous nous attachons à le regarder.
La conscience qu'a le citoyen d'un pays démocratique de sa condition non comme un état de fait mais comme un sursis, le pousse à lutter pour servir un ordre nouveau.
Nos luttes sont devenues des combats et le bonheur commun s’est transformé en bien être individuel.
Quelles réponses naissent de cet écart entre ce que la société voudrait véhiculer de l'homme en pareille situation et ce qu'il peut être effectivement ?
« Nous avons le devoir de créer un nouveau théâtre de l’humanité sinon la folie sociale créera un nouveau théâtre de la banalité et de la barbarie.»
Et nous y sommes...
Sarah nous invite à prendre la mesure de ce que nous avons peut-être déjà perdu.
Comme l’a écrit Edward Bond lorsqu’il a eu connaissance du texte :
“4.48” is a great play, bitterly comic, full of desire for life. It is also the document of our time. Read-it - this suicide note is your oblituary.”
Revenir aujourd’hui à 4.48 PSYCHOSIS, c’est en quelque sorte lui renvoyer une lettre à Elle qui m’en a tant envoyées.
C’est encore une tentative de réponse, la tentation d’un clin d’œil.
BLASTED
C’est une des pièces les plus importantes du XX ème siècle.
Avec BLASTED, elle affronte l’implacable et ses limites...
Elle nous questionne et nous met en demeure de répondre. Comment affronter et mettre en scène les images engendrées par le monde d’aujourd’hui.
Quel sens a le théâtre aujourd’hui ?...
Je ne crois pas autrement que comme réveil matin à ces textes immédiatement « consommables » qui répondent aux évènements de la veille.
Chacun se rassure avec l’idée de faire du théâtre « politique », mais la vraie politique, il me semble, n’est pas là.
Pas dans cette rassurante satisfaction en tous cas.
Au-delà des images.
Affronter le sens et assumer nos responsabilités, accepter les conséquences de nos actes, si nous ne voulons pas nous suicider avec une société qui se suicide dans une inconscience criminelle.
Attention sur le balcon de chaque cuisine, il y a un soldat embusqué...
Le but du théâtre est l’humanité, il doit affronter les limites. Il doit tenter de comprendre ce que sont les êtres humains et comment ils créent leur humanité.
Ses pièces parlent de cela., de la fin de l’humanité et peut-être du début d’une autre.
Nous devons parfois aller en enfer par l’imagination pour éviter d’y aller dans la réalité.
Si par l’art nous pouvons expérimenter quelque chose, nous pourrons peut-être devenir capables de changer notre avenir.
Nous sommes coupables justement parce que nous sommes innocents.
Que décidons-nous ? La démocratie ce n’est pas les autres, c’est TOI.
Christian Benedetti
"Sur quoi travaillez-vous actuellement ? “
Je suis en train d’écrire une pièce intitulée 4.48 psychose (4.48 psychosis). Elle offre des similitudes avec Manque (Crave), tout en étant différente. La pièce parle d’une dépression psychotique et de ce qui arrive à l’esprit d’une personne quand disparaissent complètement les barrières qui distinguent la réalité des diverses formes de l’imagination. Si bien que vous ne faites plus la différence entre votre vie éveillée et votre vie rêvée.
En outre, vous ne savez plus - ce qui est très intéressant dans la psychose - vous ne savez plus où vous (vous) arrêtez et où commence le monde. Donc, par exemple, si j’étais psychotique, je ne ferais littéralement pas la différence entre moi-même, cette table et Dan (son interlocuteur). Tous feraient partie d’un continuum. Et diverses frontières commencent à s’effondrer. Formellement, je tente également de faire s’effondrer quelques frontières - pour continuer à faire en sorte que la forme et le contenu ne fassent qu’un.
Ce qui s’avère être extrêmement difficile et je ne vais dire à personne comment je m’y prends. (...) Ce que j’ai pu commencer avec Manque (Crave), je le pousse ici un cran plus loin. Et pour moi se dessine une ligne très claire qui part de Anéantis (Blasted), en passant par L’Amour de Phèdre (Phaedra’s love), pour aboutir à Purifiés (Cleansed), Manque (Crave) et cette dernière pièce. Où est-ce que ça va ensuite, je ne sais pas trop.”
Sarah Kane, novembre 1998
Texte français Séverine Magois, extrait d’une conférence donnée par Sarah Kane à des étudiants